Le sorcier Limitou

Il était une fois un homme avec des cheveux rouge cuivre, un nez en bec de hibou et des yeux verts grands comme des écus de six livres, qui marchait en grinçant des dents. Il les avait longues et pointues. Il passait souvent dans le pays d’Hornoy en faisant de grandes enjambées et en regardant les gens en dessous.
D’où venait-il ? Où allait-il ? On n’en savait rien. On assurait qu’il était sorcier, on en avait peur et on l’appelait Limitou.
Une fois, Limitou arriva au village de Dromesnil en tenant un épi de blé entre ses doigts crochus. Il frappa à la porte d’une maison.
Pan, pan.
— Qui est là ?
— C’est Limitou.
— Quoi que vous voulez, Limitou ?
— Avez-vous une petite place pour poser mon épi de blé ?
— Posez, posez, Limitou.
L’épi posé, Limitou partit laissant les gens tout épeutés.

À quinze jours de là, Limitou revint, frappa comme la première fois et réclama son épi de blé.
— Ah, mon Dieu ! s’écria la femme en tremblotant, no glangne l’a mangé. Prenez l’glangne en place !
Limitou prit la poule, partit, s’arrêta dans une ferme de Selincourt. Il frappe comme à Dromesnil et demanda une petite place encore pour poser sa poule.
— Posez, posez, Limitou, lui dit-on tout de suite.

À quinze jours de là, Limitou revint chercher sa poule.
— Quel malheur, gémit la fermière, nous l’avons mise dans no'écurie et le cheval l’a tuée d’un coup de pied. Prenez no cheval en place.
Limitou le voulut bien, et emmena son cheval à Boisrault où il entra dans la cour d’une auberge.
— Avez-vous une petite place pour poser mon cheval ? fit-il à l’aubergiste.
— Posez, posez, Limitou, consentit le brave homme, sans s’inquiéter s’il serait payé. Il attacha son cheval et se sauva sans boire ni manger. On ne savait de quoi il vivait.

Quinze jours après, il reparut.
— Seigneur Jésus, dit l’aubergiste, nous avons mis vo cheval, au marais et il a sa jambe cassée. Vous prendrez no servante en place, n’est-ce pas, bon Limitou ?
Limitou sourit, montra ses dents aiguisées, mit la servante dans sa hotte et s’en alla à Hornoy où il loqueta à la porte du sacristain. La porte ouverte, il quêta encore une petite place pour poser sa hotte.
— Posez, posez, fit la femme du sacristain qui enfournait du pain et faillit se trouver mal de frayeur.
Quand le vilain homme fut parti, la femme reprit ses sens et continua à mettre au four. Avec son pain, elle faisait cuire une flamiche qui répandait une odeur de beurre frais.
— Marraine, marraine, une quiot pièce de flamiche, pria tout à coup une voix venant d’on ne sait où.
— Où es-tu donc ma
quiot fille ? demanda la bonne femme, qui avait reconnu la voix de sa filleule.
— Dans la hotte de Limitou.
Vite, on sortit la pauvrette de sa prison, et on lui donna à manger car elle avait grand faim. Quand elle fut rassasiée, on avisa au moyen de la tirer des mains du vieux sorcier.
Le sacristain, qui était rentré de l’église, alla consulter M. le curé. Le saint homme vint et resta pensif.
— Limitou reviendra à la chute du jour, dit-il enfin mystérieusement, amenez-moi votre chien.
Un gros chien de garde fut amené, M. le curé le fit cacher dans la hotte, prononça quelques paroles à voix basse et se retira.

Limitou revint avant le coucher du soleil chercher son dépôt, on le lui rendit, et, au plus vite. Il se perdit dans la campagne en riant d’un rire de sorcier.
Quand il fut dans le bois de Vraignes, en un lieu où se trouvaient par terre des manches à balai, oubliés par des sorciers qui avaient tenu sabbat en cet endroit, il déposa sa hotte par terre et en ouvrit le couvercle discrètement ; au même instant le chien se mit à aboyer et à lui mordre les jambes. Limitou fit une foule de signes kabbalistiques ; mais le chien qui avait été prémuni contre les sorts par M. le Curé, ne s’en retournait pas du tout et continuait à mordre. Limitou se sauva à grande vitesse jusqu’à ce qu’il disparut dans un grand trou qui, le fit retomber en enfer. Toujours est-il qu’on ne l’a jamais revu.

Depuis ce temps, quand une personne habituée à fréquenter le canton d’Hornoy n’y revient plus, on a gardé l’habitude de dire : est-ce qu’elle ressemble à Limitou ? Aurait-elle été mordue par ch'quien d’Hornoy ?

Pierre D’ISSY (1888)

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