La robe regrettée

Il y avait une fois un homme et une femme qui avaient une fille. Ils étaient pauvres, autant qu’on peut l’être ! La mère vint à mourir, et le père, n’ayant pas assez de travail pour garder sa fille avec lui, se vit forcer de se séparer d’elle et de l’envoyer mendier son pain. Un jour, elle arriva devant une porte :
— La charité, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu.
— Toi, enfant, dit la maîtresse, si grande et si forte, tu demandes ton pain ?
— Hélas ! il le faut bien. Ma mère est morte et mon père n’a pas d’ouvrage pour m’occuper à la maison, j’ai bien dû m’en aller.
— Hé bien, nous, nous avons besoin d’une servante ; si tu veux demeurer ici et bien travailler, nous te prendrons avec nous.
— Oh ! Avec plaisir, dit la fillette. Je resterai.
Et elle demeura avec ces gens-là. Elle était laborieuse et se conduisait bien, elle leur convenait beaucoup. Et comme la pauvre enfant était à moitié nue, sa maîtresse lui acheta une robe, en avance sur les gages qu’elle lui avait promis.
Peu de temps après, la jeune servante vint à tomber malade. Et son mal empira d’un jour à l’autre : à la fin, elle mourut. Quand elle fut morte, sa maîtresse commença à regretter la robe qu’elle lui avait achetée.
— Cette fille est morte ! Et maintenant, ma robe est là ! Et elle ne l’avait pas trop gagnée !
Et ceci, et cela. Elle ne cessait pas de murmurer.

Le surlendemain, une jeune fille se présenta à la porte.
— N’auriez-vous pas, s’il vous plaît, besoin d’une servante ? Vous me rendriez un bien grand service si vous pouviez m’occuper.
— Si justement, ma fille, tu tombes bien. Nous en avions une, elle vient de mourir, nous te prendrons à sa place. Elle te ressemblait tout à fait ! On dirait la même personne.
Et elle demeura donc dans cette maison. Elle faisait très bien leur affaire, ils n’avaient rien à lui reprocher. Et ils l’aimaient beaucoup. Ce qui les surprenait, c’est qu’ils ne la voyaient jamais manger, ni boire, ni aux repas, ni autrement. Et chaque soir, quand tous allaient se coucher, elle s’agenouillait auprès du feu et restait là à prier Dieu. Et, dans cette maison, il y avait un valet : il s’était aperçu que le bois qu’il fendait après sa journée, pour le jour suivant, avait presque entièrement disparu le matin, et il voulut savoir d’où cela provenait.

Un soir, il fit semblant de s’en aller au lit et resta à épier par un trou qu’il y avait à la porte de la chambre.
Quand tous furent couchés, excepté la servante, il vit celle-ci aller chercher une grosse brassée de bois, la poser sur l’âtre et allumer un grand feu. Elle ôta alors ses vêtements et se mit à sauter par-dessus le foyer, passant et repassant d’un côté vers l’autre, au beau milieu de la flamme sans s’arrêter un moment ni jeter la moindre plainte, et toujours ainsi jusqu’à ce que le feu fut éteint : c’était terrible à voir ! Le lendemain, le garçon prit la maîtresse à part.
— Si vous saviez ce que j’ai vu hier soir !
Et il lui raconta tout, comment il avait trouvé le bois de manque et surveillé la servante, et ce qu’il lui avait vu faire. La femme n’en revenait pas.
Elle appela à l’instant la jeune fille et lui dit ce que lui avait rapporté le valet, lui demandant si c’était vrai, et pourquoi elle faisait ce qu’il l’avait surprise à faire.
— Oui, c’est bien vrai, dit-elle. C’est là ma pénitence. Vous avez eu une servante qui est morte ici. Et cette servante, c’est moi. Vous m’aviez acheté une robe sur mes gages, mais depuis vous l’avez regrettée, vous me l’avez reprochée, disant que je ne l’avais point gagnée : à cause de cela, j’ai dû revenir sur terre, et jusqu’à ce que vous m’ayez dit que j’ai gagné ma robe, il me faudra rester ici et continuer cette pénitence, sans pouvoir rentrer au paradis.
— Oh ! Pauvre enfant ! répondit la femme, tout affligée, pardonne-moi ce que j’ai dit. Tu l’as gagnée, et bien gagnée, ta robe ! Tu pourras t’en aller quand tu voudras ; pour moi, jamais je ne te reprocherai plus rien.
Et dès qu’elle eut prononcé ces mots, la jeune fille disparut de devant elle.

Félix ARNAUDIN,(1887)

 

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