Le tonnelier avare

Il y avait une fois, dans un village des environs de Lisieux, un tonnelier avare, d’une avarice sordide. Il était cependant un des plus riches de l’endroit. Cela ne l’empêchait pas de se nourrir et de s’habiller comme un pauvre, de travailler comme un esclave, de se plaindre continuellement. À l’entendre, le commerce allait mal, le bois renchérissait, les clients n’étaient plus ce qu’ils étaient autrefois ; personne, non, personne n’était plus malheureux que lui.

En vérité, il ne pensait qu'à son argent. Ses chers écus lui tenaient lien de femme, d’enfants, de parents et d’amis ; ils détournaient ses regards des souffrances des autres ; ils étouffaient en lui tout sentiment de pitié ; en un mot, ils rendaient son cœur dur et froid comme une pierre.

Un jour qu’il travaillait dans son atelier, il entend frapper à sa porte. Il ouvre. Un vieillard infirme, couvert de haillons, l’air exténué de fatigue, lui demande un verre d’eau.

– Va boire à la fontaine qui est au bout du chemin ! réplique brutalement le tonnelier.

– La fontaine est bien loin pour mes faibles jambes, reprend le vieillard. Je vous en supplie, donnez-moi un verre d’eau ; je suis si fatigué !

– Crois-tu donc, répond le tonnelier, que je vais me déranger pour un va-nu-pieds comme toi ? Je n’ai pas de temps à perdre. Sors, va-t’en !

À ces mots, le mendiant se redresse, majestueux et sévère :

– Tu es connu dans tout le pays pour ton avarice ; je pourrais te punir de ta dureté ; je te commande seulement de remplir ce tonneau que tu viens de faire.

Cela dit, le vieillard s’éloigne.

Ces paroles, ce ton d’autorité, stupéfièrent l’avare ; un moment il resta pensif. Il s’apprêtait à continuer son travail, lorsque, poussé tout à coup par une force irrésistible, il prit le tonneau, le roula jusqu’à la fontaine, le plongea dedans : quel ne fut pas son effroi en le retirant vide !

Son inquiétude ayant fait place à la colère, il saisit le tonneau que ses mains avaient abandonné, le jeta dans la fontaine, l’enfonça de toutes ses forces, avec rage : l’eau ne mouillait même pas le bois.

Furieux, il renouvela plusieurs fois sa tentative, et toujours sans succès.

Désespéré, il souhaitait la mort…

À la fin, comprenant qu’il était châtié de son odieuse conduite envers le vieillard, il se repentit sincèrement et se promit d’être bon désormais pour ses semblables. Tandis qu’il prenait cette résolution, des larmes montèrent à ses yeux ; l’une d’elles coula sur son visage, et, tombant dans le tonneau, le remplit soudain.

Il reconnut ainsi qu’on fait son bonheur en travaillant à celui des autres.

Louis BASCAN (1906)

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