Il
y a toujours eu, il y aura toujours, à Lectoure, un Homme Vert, qui
garde les oiseaux et qui est le maître de toutes les bêtes
volantes. L’Homme Vert ne fait ni ne veut de mal à personne.
Jamais on ne l’a vu manger ni boire. Presque toujours, il vit
caché. Quand il se fait voir, l’Homme Vert choisit toujours un
endroit où nul ne peut atteindre. J’ai connu de vieilles gens qui
l’avaient aperçu plus d’une fois sur les Rochers des Bohèmes,
et sur ceux de l’Hôpital. Quand j’étais petit, on disait déjà
que l’Homme Vert ne se montrait plus aussi souvent qu’au temps
passé. Pourtant, je l’ai vu deux fois, et je me souviens de tout.
Un
soir, mon pauvre père (Dieu lui pardonne !)
avait affaire au Pont-de-Pile.
— Enfant,
me dit-il, tu vas venir avec moi. Peut-être, en passant sous les
Rochers de l’Hôpital, verrons-nous l’Homme Vert, qui garde les
oiseaux, et qui est le maître de toutes les bêtes volantes.
Nous
partîmes, vers les quatre heures du soir.
Le temps était superbe. Sous les Rochers de
l’Hôpital, mon pauvre père s’arrêta, et me dit :
— Regarde.
Je
fis ce que mon pauvre père me commandait, et je vis l’Homme Vert,
qui garde les oiseaux,
et qui est le maître de toutes les bêtes
volantes. Il était assis au sommet d’un vieux rempart. L’Homme
Vert ne disait rien. Mais il agitait son bras droit, comme un semeur
qui secoue du blé.
— Bonsoir,
Homme Vert, dit mon pauvre père.
— Bonsoir,
Homme Vert, dis-je aussi.
L’Homme
Vert nous regarda, du haut du vieux
rempart, et répondit :
— Bonsoir,
père Cazaux. Bonsoir, petit Cazaux.
Nous
passâmes. Vingt pas plus loin, je me retournai. L’Homme Vert
n’était plus là.
Je
pouvais avoir alors dix ou onze ans. Jamais moi et mon pauvre père
n’avons dit mot, même entre nous, de ce que nous avions vu tous
deux. Mais je voulais revoir l’Homme Vert. Bien souvent, je m’en
allai seul, sous les Rochers des Bohèmes et de l’Hôpital. Pendant
tout un mois, j’espérai, sans rien voir ni rien entendre.
Pourtant, je pensais toujours :
— Il
faut que je revoie l’Homme Vert.
Un
soir, vers les deux heures, j’avais grimpé,
comme un chat, jusqu’au haut des Rochers de
l’Hôpital, où j’avais vu l’Homme Vert. Là, je m’étendis à
l’ombre, au pied du vieux rempart, et je m’endormis.
Le
bruit de l’orage me réveilla. Je regardai le
ciel. Il était noir comme l’âtre. Toutes les
cloches de la ville sonnaient pour conjurer le mauvais temps. Les
éclairs m’aveuglaient, et je sentais l’odeur de la terre au
premier moment de la pluie.
Tout-à-coup,
ce fut un déluge. Serré contre le
rempart, j’écoutais les grands coups de
tonnerre, et le bruit des eaux. Pourtant, je n’avais pas peur, et
j’étais content de voir des choses qui n’arrivent pas chaque
jour. Enfin, la colère de la tempête tomba. Le vent emporta les
mauvais nuages, et je revis le soleil.
J’allais
rentrer chez nous, quand j’entendis du
bruit au-dessus de ma tête. C’était l’Homme
Vert, assis en haut du vieux rempart. Il agitait son bras droit,
comme un semeur qui secoue du blé. Cette fois, ce fut lui qui me
parla le premier.
— Bonsoir,
petit Cazaux.
— Bonsoir,
Homme Vert.
— Petit
Cazaux, il y a longtemps que tu me
cherches. Je le sais. Que me veux-tu ?
— Homme
Vert, c’est vous qui gardez les
oiseaux, et qui êtes le maître de toutes les
bêtes volantes. Donnez-moi un merle, un beau merle qui siffle bien.
— Petit
Cazaux, je ne donne pas mes bêtes
volantes ; et je ne vends mes oiseaux ni
pour or, ni pour argent. Si tu veux un merle, un beau merle qui
siffle bien, tâche de l’attraper. – Et maintenant, petit Cazaux,
rentre à la maison. Tes parents sont inquiets à cause de toi.
L’Homme
Vert partit, et je rentrai à la maison,
où tout le monde fut bien aise de me voir.
Pendant trois ou quatre ans encore, je revins seul, et bien souvent,
au même endroit. Pourtant, jamais, au grand jamais, je n’ai revu
l’Homme Vert.
Jean-François BLADÉ (1886)
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