La farce de Rabelais

On remarquait, il y a quelques années, dans une des avenues du château de Meudon, une légère éminence formée par un roc à fleur de terre. (…) Les érudits de l’endroit contaient que Rabelais, de gaillarde mémoire, allait souvent s’asseoir sur ce rocher. Il y passait de longues heures, et comme on entendait de loin rire et parler haut, le bruit courut qu’il s’y entretenait avec le diable. Il aurait fait avec lui certain pacte que la tradition a conservé, et que voici :
Maître François, en bon curé, aurait voulu envoyer au ciel tous ses paroissiens, et surtout ses paroissiennes ; mais il paraît que cela offrait quelques difficultés, dont il espéra avoir meilleur marché en traitant avec le diable qu’en traitant directement avec les saints. Il était versé dans la cabale, et savait très bien où trouver l’autre. Il alla près du rocher et l’appela. L’autre parut.
– Que me veux-tu ?
– Je veux sauver mes ouailles de tes griffes.
– Et c’est à moi que tu t’adresses ? dit le diable en fronçant le sourcil comme un avare à qui l’on emprunterait un écu.
– Eh oui ! c’est à toi. À qui veux-tu que je m’adresse ?
– À ton patron.
– Bon ! un pleurard, un sermonneur, qui me dira de faire comme lui, de boire de l’eau, de porter le cilice, de jeûner, de baisser les yeux comme un nonnain, d’user mon haut-de-chausses sur les dalles de notre église, de porter son cordon, de donner à son couvent ce que je baille aux vignerons. Nenni !
Maître François accompagna ces mots d’une pantomime si singulière, que le diable ne put s’empêcher de rire. Or, comme le diable ne rit guère, cela lui fit tant de plaisir, qu’il promit à Rabelais de renoncer à ses droits d’aubaine si, chaque fois que la cloche de Meudon sonnerait une agonie, il pouvait réussir à le faire rire. Le bon curé accepta le marché, et sauva ainsi quantité d’âmes. Tandis que le pêcheur ou la pécheresse passait derrière le rideau, et que leurs héritiers faisaient semblant de pleurer, il grimpait sur la colline où l’attendait Satanas, et lui contait tant de fariboles, que celui-ci manqua plus d’une fois d’étouffer de rire.
Telle est la légende que répètent encore quelques bourgeois de Meudon.

A. CALLET (1848)

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