La chandelle Chirapa

Au moyen-âge vivait à Langres un homme nommé Chirapa, célèbre par son opulence et surtout par sa prodigalité. Mais il dépensa tant qu’un

. beau matin ses créanciers s’assemblèrent pour le dépouiller de ses dernières richesses. Que faire dans une situation si déplorable ? Tout autre que notre Langrois se serait enfui de la ville. Mais Chirapa ne craint point la poursuite de ses créanciers et veut continuer son train de vie. Il appelle le diable et lui donne son âme pour des monceaux d’or. Les créanciers se retirent, stupéfaits des richesses de Chirapa, et font mille excuses à cet homme fortuné d’avoir troublé son repos. Chirapa se moque de leurs alarmes, et leur annonce qu’il tiendra tous les jours table ouverte chez lui sans craindre une sensible diminution dans ses coffres. Bientôt le bruit se répand dans la ville que Chirapa possède d’immenses richesses, et que sa déconfiture n’est qu’un mensonge forgé par la jalousie. De nombreux amis accourent dans son logis et consument joyeusement le temps à savourer des mets délicieux.
Un jour cependant le vin manqua dans un de ces festins splendides auquel assistait un religieux. Vite Chirapa court à la cave ; mais ô surprise, à peine a-t-il franchi la dernière marche qu’il voit le diable à califourchon sur un tonneau. Eh bien ! es-tu prêt ? demande le prince des ténèbres. Déjà, balbutie Chirapa ; par pitié, permets-moi d’achever ce festin. Le diable, qui croit posséder cette pauvre âme, se laisse toucher par la supplique de Chirapa. Notre homme remplit son vase et s’en revient tout penaud dans la salle où s’ébattent les joyeux convives.
Mais la pâleur qui s’est répandue sur son visage n’échappe pas au regard du religieux. Chirapa dépose son vase sur la table et raconte sa terrible vision. Le bon moine rassure le pauvre pécheur et se charge d’aller lui-même solliciter messire Satanas.
– Que veux-tu ? demande le diable dès qu’il aperçoit le religieux.
– Te remercier d’abord et te faire une requête. Accorde seulement huit jours de répit à Chirapa.
– Huit jours ! le mécréant m’a donné sa parole.
– Un jour !
– Pas une heure.
– Le temps au moins de brûler la chandelle que je porte.
Le diable cède et veut bien attendre quelques minutes.
Mais le religieux s’empresse de souffler la chandelle et la consacre aussitôt à Dieu.
Ainsi fut délivré ce pauvre Chirapa qui depuis cette étrange vision ne vit plus messire Satanas qui s’était enfui dans les enfers pour y cacher sa honte.
La chandelle fut déposée dans le trésor de la cathédrale de Langres, où les voyageurs peuvent encore la voir. Beaucoup d’auteurs ont parlé de cette chandelle ; Monsieur Carnandet, à l’obligeance duquel nous devons tous ces détails, a même lu un poème de 545 vers consacrés à cette légende, et que conserve précieusement la bibliothèque impériale.

Lorsque vous irez à Langres, n’oubliez pas la chandelle Chirapa ; mais, en la touchant, rappelez-vous que la soif des richesses est pernicieuse, et que sans le puissant secours d'un bon religieux le nom de Chirapa serait à jamais flétri.

Alexandre ASSIER (1860)

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