Le roi des Guétifs

Allons jusqu’à l’Artois, dans la commune de Pas. (…) C’est dans le sein du peuple que le roi des Guétifs était choisi. Explique qui pourra ce nom. Ce qu’il y a de certain, c’est que le roi des Guétifs avait sous ses ordres la très nombreuse compagnie des Francs Hommes. Chaque année, le 1ᵉʳ janvier et à la Saint-Martin, il se rendait, à la tête de sa troupe, auprès des échevins. Ceux-ci, qui savaient bien le motif de sa visite, accordaient au monarque populaire une certaine somme pour se divertir, lui et les siens, pendant deux jours.
Alors commençait une sorte de juridiction non prévue par les lois et très sommaire. Sa Majesté prenait connaissance des différends qui, dans le cours de l’année, s’étaient élevées entre maris et femmes. Si le mari avait administré à sa moitié quelque correction un peu trop verte, le roi des Guétifs ne concluait pas contre lui et cherchait même à atténuer ses torts, afin que toute puissance resta à la barbe. Mais malheur à la femme qui avait empiété sur l’autorité maritale ! Celle-là avait beau alléguer les meilleures raisons du monde, démontrer par exemple que son époux se plaisait trop à vider les pots de genièvre ou à agiter les cornets à dés, elle était bel et bien condamnée ; et la sentence n’était pas plus tôt rendue, qu’on la mettait à exécution. (…) Levant l’audience, il se rendait avec ses Francs Hommes au domicile de la délinquante ; là, il donnait le signal en arrachant la première paille de la toiture de chaume ; les Francs Hommes se mettaient à l’œuvre, et bientôt la maison n’avait plus de toit que le bleu du ciel. C’était au mari trop conciliant avec son épouse de supporter la remise en état !

Alfred Des ESSARTS (1862)

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