Au sortir des bois, Pierre se sentit plus tranquille. Le ciel, chargé d’étoiles, agrandit à ses yeux son horizon immense, et, grâce à la clarté de la lune, il pouvait voir devant lui les objets les plus lointains. Partout régnait un grand silence ; on n’entendait que le bruit du vent courbant la pointe des arbres, et passant en murmurant, sur les prairies en fleurs. Pierre marchait toujours, et bientôt un pli de terrain le sépara seul du Puy-des-Dames. Quel fut son étonnement, lorsque, après l’avoir franchi, il distingua une douzaine de demoiselles, vêtues de blanc, qui dansaient autour du mamelon. Pierre prit son courage à deux mains, et avança bravement. Si le pauvre ménétrier avait eu toute sa raison, il aurait remarqué que les fées étaient pâles comme des fantômes, qu’elles dansaient avec une secrète langueur, sans sourire, et que chaque fois que leurs mains se touchaient, elles rendaient un son creux, pareil à des os privés de chair. Mais le jeune homme était trop animé pour y prendre garde. Il resta à la même place assez longtemps, immobile et muet de surprise, admirant la beauté des demoiselles, regardant leurs formes lascives qu’un simple tissu enfermait dans une prison transparente. Puis, ainsi qu’il l’a raconté lui-même, soit que cette danse en rond lui causât une espèce d’enivrement, ou qu’oubliant le lieu fatal, il se crut transporté au milieu des fêtes qui lui étaient familières, soit enfin, qu’une force invisible le poussât, Pierre prit sa cornemuse et se mit à jouer son plus bel air.
Mais à peine les sons vibrants de la musette eurent-ils éclaté, que plusieurs fées s’enfuirent effrayées ; d’autres disparurent sans que Pierre pût savoir comment, tandis que les deux dernières, moins peureuses, s’approchèrent en souriant et vinrent lutiner le museteur ravi. L’une prît son chapeau, l’autre, la plus jolie, s’empara de la rose que le jeune homme portait attachée au gilet. Celle-ci satisfaite, fit alors quelques pas pour s’en aller, non sans regarder Pierre d’une façon si agaçante et si profonde que le robuste Auvergnat frissonna jusque dans la moelle des os. Son parti fut bientôt pris : la fée était restée seule et fuyait lentement ; il se mit à sa poursuite, voulant ravoir son bouquet, et peut-être aussi demander quelque chose de plus, Cependant, bien que la légère fille ne parût pas précipiter sa marche, Pierre quoique courant, pouvait à peine l’atteindre, et quand il l’atteignait, – cette ombre fugitive, cette maîtresse impalpable, glissait entre ses bras, telle qu’use vapeur. Ils firent ainsi beaucoup de chemin, traversèrent le hameau de Salasses, plongé dans le sommeil, et arrivèrent jusqu’à une montagne assez escarpée, d’où l’on domine Belliac. À ce point, le ménétrier essoufflé. s’arrêta un instant et voulut rétrograder. C’était son bon ange qui l’inspirait sans doute. Mais alors la fée, passant rapidement à ses côtés, lui dit à l’oreille une parole si douce, que le cœur de Pierre tressaillit sous ce mot comme l’épaule d’un forçat tressaille sous le fer rouge qui la brûle. Le pauvre garçon, fou de bonheur, n’hésita pas à s’aventurer avec elle dans les revers à pic Soudain, on entendit le bruit d’une chute ; mais ce bruit fut couvert par la brise qui continua à soupirer dans les chênes frémissants.
Le lendemain, on retrouva Pierre, le corps mutilé, la tête sanglante, n’ayant plus qu’un souffle de vie. Une main inconnue l’avait précipité du haut d'un rocher, et il était venu se briser à sa base. Prés de lui gisait la cornemuse encore à demi gonflée. Seulement, on ne put jamais retrouver le chapeau ni la fleur. Ce malheureux n’eut que le temps de raconter son aventure ; il demanda pardon à Dieu, reçut l’absolution du curé et trépassa.
DÉRIBIER-DU-CHATELET (1853)
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