Entretien d'embauche

Bas-Rhin
Un compagnon orfèvre, qui était d’assez petite taille, se présenta un jour devant une boutique de Strasbourg pour demander de l’ouvrage. Or c’est assez l’habitude des patrons enrichis de s’en faire accroire, et de traiter d’une façon hautaine les nouveaux venus, compagnons et apprentis. Le maître de la boutique parut à la devanture, regardant de droite et de gauche d’un air narquois, et dit :
— Il y a donc un compagnon ici ? Je ne le vois point.
— C’est moi, dit l’ouvrier.
— Ah ! c’est toi, mon petit ? Entre donc ! Et que sais-tu faire ? Sais-tu seulement tracer, profiler ?
— Oui, fit le compagnon.
Le patron lui donna une ardoise, lui disant d’y tracer un luth ; et l’autre eut bientôt fait son tracé correct, d’après les règles professionnelles. Quand il eut fini :
— Mais ton luth n’a pas de cordes ! dit le maître.
Le compagnon traça exactement les cordes en leur place.
— Mais tes cordes n’ont pas de son !
L’autre, voyant la moquerie, prit l’ardoise et en donna un bon coup sur la tête du patron, si bien que la feuille tomba en éclats tout autour sur le plancher.
— Sonnent-elles bien, ces cordes ? dit-il, et il disparut.

Émile REIBER (1866)

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