— Comment, rugit l’ecclésiaste, vous vous comportez à mon égard comme une épouse que je m’interdis d’avoir ; vous vous conduisez comme une commère capable de toutes les calomnies à mon sujet. Alors que vous êtes la servante du serviteur de notre Seigneur.
L’acolyte opinait de la calotte.
— Allez plutôt dans notre cave et rapportez un flacon pour nos gosiers asséchés !
Ronchonnant mais obéissant, Marie frictionna ses mains dans les plis du tablier et traîna ses sabots vers l’escalier sombre. Elle maugréait :
— Une épouse ! Une commère ! Et puis quoi encore ?
Quand Marie releva son menton, elle n’en crut pas ses yeux : la cave de monsieur le Chanoine, la cave renfermant les trésors spiritueux était en flammes. Elle brûlait comme un enfer, un diable s’y était planté au centre, perché sur un balai et convulsionné de rires sataniques.
— Monsieur le Chanoine, monsieur le Chanoine…
Marie n’avait pas la bouche assez grande pour contenir tous ses hurlements.
Hommes de bouteille,
peut-être, mais hommes de foi avant tout, les deux comparses se
saisirent d’un bénitier et de goupillons, dévalèrent
l’escalier ardent, dévisagèrent le prince des ténèbres et le bénirent avec fougue. Le pauvre diable hurla, brailla et
vociféra ; il trouva refuge dans le soupirail. Les deux
ministres du ciel l’emprisonnèrent dans le bonnet carré du
chanoine, alors que les cloches de l’abbaye invitaient aux vêpres.
— Tiens, suggéra le moine, et si on l’emmenait pour l’eneaubéniter avec
tous nos frères.
Sitôt dit, sitôt
fait, voilà le prisonnier conduit vers le saint lieu.
— Moi, dans un
temple, jamais ! s’écria le diable qui brisa la
boîte où il était enfermé.
En deux sauts, trois
bonds, il courut dans la tour Saint-Benoît. Le lieu n’était
fréquenté que par quelques gardiens de la ville, qui se plaignaient
alors de l’absence de coiffe sur cette tour. Ils expliquaient ainsi
pourquoi ils étaient plus souvent dans les tavernes voisines qu’en
surveillance sur les remparts de la cité !
Le lendemain matin, les Soissonnais découvrirent la tour Saint-Benoît couverte d’un toit en forme d’un bonnet carré, comme celui du chanoine. C’était une facétie de Satan, qui n’en manquait pas.
Jules BRISEZ (1835)
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