Arthur obéit d’abord à cet arrêt sévère
mais sa profonde tendresse pour celle qui n’avait pas voulu
l’abandonner le lui fit bientôt oublier. Une fois, et sans
attendre le coucher du soleil, il descendit de sa retraite
inaccessible, et alla rejoindre Genièvre. Il continua ses visites,
mais une punition terrible lui était réservée.
Un jour qu’il venait de quitter sa compagne et
traversait le ravin, un bruit inusité vint exciter sa surprise, et
le fit se retourner. C’était le torrent grossi, fougueux,
menaçant, qu’il vit accourir et se précipiter vers lui, grondant
et mugissant. En un instant, l’onde perfide l’entoure de ses
flots tumultueux, et monte, monte toujours. Le prince essaie de
lutter contre l’irrésistible courant, se débat avec le courage du
désespoir contre les étreintes de la mort. Vains efforts ! Sa
dernière heure a sonné ; le torrent entraîne et engloutit
dans les profondeurs du gouffre l’amant infortuné. Du seuil de sa
grotte, Genièvre a suivi avec une affreuse angoisse les péripéties
de la lutte ; elle voit son époux disparaître, elle ne veut
pas lui survivre ; et, se précipitant du haut de la roche, va
le rejoindre dans l’abîme.
On affirme qu’autrefois, deux corbeaux, aussi
blancs que des cygnes, venaient planer lentement et mélancoliquement
chaque jour au-dessus du gouffre, tombeau des deux amants. Leur aire
était établie dans un creux du rocher, et les laboureurs les
respectaient, car ils protégeaient les moissons des champs
d’alentour contre les oiseaux du ciel. Un soir, ils prirent leur
volée vers l’horizon lointain, disparurent, et depuis nul ne les a
revus. On raconte encore qu’au bon vieux temps, celui qui ne
pouvait suffire à ses labours, allait demander aide sur le bord de
la fosse Arthour, en ayant soin d’y déposer une piécette blanche.
Le lendemain matin, il voyait sortir de l’eau deux taureaux noirs
qu’il emmenait, et qui se montraient infatigables au travail durant
la journée toute entière. Il fallait les ramener au bord de la
fosse à la tombée de la nuit, et ne pas oublier de leur attacher
une botte de foin entre les cornes. Arrivés au bord de l’eau ils
prenaient leur élan, et plongeant, regagnaient leur humide demeure.
Jules LECOEUR (1883)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire