Le comte de Créquy

À peu de distance de Grandvilliers, dans la commune du Hamel, on voit de grosses chaînes que l’opinion publique déclare y avoir été déposées par un seigneur de Créquy. François 1ᵉʳ, prisonnier de Charles Quint après la bataille de Pavie, ne pouvait rembourser la rançon que l’empereur exigeait de lui ; monsieur de Créquy, qui ressemblait beaucoup à François 1ᵉʳ, lui proposa de se charger de ses chaînes : refus ; on insiste : Créquy obtient enfin la faveur qu’il sollicite. Charles Quint, instruit de cette ruse, traite fort mal monsieur Créquy ; il est chargé de chaînes énormes, et mal traité par ses geôliers : sa confiance en Notre Dame du Hamel le tira de cette fâcheuse position ; il fut, par son intercession, miraculeusement transporté pendant la nuit de Madrid dans un champ voisin du Hamel. Un berger, surpris de voir ses moutons danser gaiement autour d’un homme à longue barbe, fort mal vêtu, chargé de chaînes, s’approche et le salue : Créquy l’interroge ; il apprend qu’il est sur les terres voisines de son château, où sa femme, qui le chérissait, forcée par ses parents, qui le croyaient mort, de contracter une nouvelle alliance, devait se marier le jour même. Avant d’entrer chez lui, Créquy se prosterne au pied de la Vierge, sa bienfaitrice, et dépose sur les marches de l’autel les chaînes dont le berger sans doute l’aida à se débarrasser. Il se rend au château : on refuse de le laisser parler à madame de Créquy ; il est enfin reçu en faisant présenter à sa femme un anneau sur lequel étaient gravés son portrait et celui de l’épouse qu’il adorait ; sa barbe, ses cheveux hérissés, ses vêtements, le faisaient encore méconnaître ; il est forcé de lui parler d’une marque qu’elle avait sur le corps et que lui seul il pouvait connaître. On devine les transports des deux époux qui n’avaient jamais cessé de s’aimer. Créquy prend les habits d’un chevalier français ; il se rend à la cour, reproche au roi de l’avoir oublié dans les prisons de Madrid : ce prince s’excuse en lui proposant pour récompense ce qu’il voudrait lui demander.
— Je ne veux, lui dit Créquy, qu’ajouter une fleur de lys à mes armes.
— Je vous en donne mille, lui dit François 1ᵉʳ.
Depuis ce temps, le lion des Créquy et le champ qui le renfermait était couvert de fleurs de lys.

Jacques CAMBRY (1803)

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