Les sirènes de la Rance

Quand les éclairs sillonnent les nues, quand les échos effrayés mêlent leurs voix aux bruits du tonnerre et se mariant dans la tempête aux sifflements des vents et aux murmures des flots se brisant sur les rochers, venez sur les bords de la Rance.

Ici pas de travail, pas d'étude, pas de misère, pas de vice ; et sur les eaux du fleuve courroucé, vous voyez des formes bleues, blanches, roses, lilas, vertes, sauter, danser, disparaître sous les flots, s'élever dans les airs, former des chaînes, des rondes, des danses fantastiques, ou s'allongeant sur les vagues, la tête posée sur un bras, ces formes gracieuses, vêtues des couleurs de l'arc-en-ciel, se laissent aller aux caprices des lames qui les bercent, les lancent de l'une à l'autre, les reprennent et les abandonnent au courant du fleuve, qui les poussent vers les criques d'où on les voit bientôt sortir plus nombreuses et marchant à la suite d'une femme encore plus belle que ses compagnes. Cette femme vêtue d'une longue robe de gaze, couronnée de diamants, et montée sur une barque, faite d'un nautile des mers du Sud, traînée par deux écrevisses aux yeux d'émeraude, est la reine de ce brillant cortège. Ses formes aériennes qui sortent ainsi des anfractuosités des rochers sont les Fées et les Génies, qui ont l'empire des eaux, et cette enchanteresse qu'ils entourent de soins est leur reine bien-aimée ; celle qui commande au vent de souffler moins fort et à la Rance de rendre à la terre les humains que la tourmente jette en son sein.

Elvire de CERNY (1861)

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