Notre-Dame de Remonot

Doubs
Un jour, je faisais une excursion sur toute la grande ligne et les plateaux secondaires du Jura. J’avais passé le Saut-du-Doubs, cette belle et pittoresque cascade, qui n’a rien à envier à celles de la Suisse ; j’arrivai, en longeant toujours cette rivière, et en prenant les chemins escarpés de préférence à la grande route, au milieu d’une enceinte sauvage de forêts, au pied d’une église taillée dans les flancs de la montagne, comme les demeures des vignerons dans la Touraine. Le roc qui surplombe cette église en forme la voûte. La route de Morteau passe au-dessus ; au bas, un petit sentier qui serpente à travers la plus riante vallée, le long du Doubs, qui l’arrose, et tout autour, des collines bien boisées, des sites agrestes. C’est une ravissante position. Pendant que j’étais là à regarder d’un œil surpris ce tableau singulier, je vis venir à moi une femme qui tenait un enfant par la main. C’était une paysanne de ces montagnes, je la reconnus à son costume : le bonnet coupé carrément, le corset serré sur la taille, la jupe formant de gros plis sur les hanches, les manches de la robe ne venant que jusqu’à la moitié du bras, et la bavette du tablier couvrant toute la poitrine ; outre cela, cette profusion de chaînes en or, et ces énormes boucles d’oreilles que portent les riches paysannes du Jura. Du reste, elle avait toute cette fraîcheur de visage, cet air de santé et de bonheur que l’on retrouve habituellement parmi les habitants des montagnes ; et son enfant était le plus joli petit garçon qu’il fût possible de voit ; les cheveux d’un blond un peu foncé, les joues rebondies et colorées, les yeux bleus pleins de candeur et de vivacité, et le sourire sur les lèvres. Elle s’avança près de moi, et me fit avec grâce un léger salut ; puis, s’apercevant que son fils s’était abandonné complètement à la distraction que lui causait le vol d’une hirondelle sur l’eau :

– Allons, Paul, lui dit-elle, apprends donc à être honnête envers les personnes que tu rencontres.

Et le petit bonhomme, ainsi rappelé au devoir de la politesse, m’ôta précipitamment sa casquette, et vint me tendre la main.

– Comment appelez-vous cet endroit ? lui demandai-je.

– C’est l’église de Remonot, me dit-elle, Ne la connaissez-vous donc pas ?

– Non. Je ne suis jamais venu dans ce pays.

– Ah ! je n’y songeais pas. C’est que, voyez-vous, cette église est si célèbre, si célèbre dans nos montagnes, que je m’imagine qu’elle doit être connue partout.

– Il s’y est donc passé quelque chose de merveilleux ?

– Oh ! je vous en réponds, et chaque jour encore il s’y passe du merveilleux. C’est une église miraculeuse, monsieur, une église de la Vierge qui guérit toutes les maladies.

– Et vous en avez vu guérir, vous ?

– Si j’en ai vu ? Ah ! certainement que j’en ai vu, et, sans aller plus loin, ce petit Paul qui est là, tenez, il a maintenant les yeux clairs comme cette rivière : eh bien ! il n’y a pas encore deux mois que ses pauvres yeux étaient toujours rouges et enflés. J’avais beau lui faire tous les remèdes imaginables ; j’avais beau consulter tous nos plus fameux médecins, jusqu’au médecin de la ville, que j’allai trouver chez lui un dimanche ; bah ! les médecins n’y connaissaient plus rien. L’un me disait ceci et l’autre cela, et, avec tous leurs grands mots, mon petit Paul ne guérissait point ; tant il y a qu’à la fin je voulus avoir recours à Notre-Dame de Remonot. Il y a là derrière son autel une petite source d’eau toute bleue qui résonne comme de l’argent. Je pris mon petit Paul avec moi, et tous les jours je m’en vins ici prier ; ensuite je puisais de l’eau à cette source, et je lui en frottais les yeux, et j’en emportais une fiole, et je lui frottais encore les yeux le soir et le matin quand nous étions chez nous. Huit jours se passèrent ainsi et le neuvième, quand j’eus fait dire une grand' messe à Notre-Dame de Remonot, mon petit Paul se réveilla avec des yeux brillants comme vous les voyez. Aujourd’hui j’apporte une belle robe de taffetas à la Vierge. Entrez, monsieur, entrez ; vous verrez combien elle a déjà fait de miracles.

J’entrai, et tout autour de moi j’aperçus des figures en cire, des tableaux d’ex-voto. La jeune femme déposa son offrande sur l’autel, puis se mit à genoux, y fit mettre son enfant, et pria dévotement avec lui. Après quoi elle se releva, et, s’approchant de moi : 

– Monsieur, me dit-elle, nous habitons le chalet que vous voyez là-haut sur la montagne ; si vous vouliez venir vous y reposer, mon mari aime à recevoir les étrangers, et nous avons toujours une place à notre foyer pour les hôtes qui nous arrivent.

Je la remerciai, et, en continuant tout seul ma route, je songeais à ce que je venais de voir, et je me demandais quel serait l’être assez cruel pour ôter à ces bonnes gens leur culte pour la Dame de Remonot ; leur croyance aux miracles, et leur bonne foi ?

Xavier MARMIER (1841)

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