— Il y a, tout près d’ici, une ferme où, à cette heure, une fermière fait une grosse omelette pour les moissonneurs ; j’irai poursuivre les poules qui crieront et feront descendra la fermière ; tu entreras aussitôt dans la cuisine, tu prendras l’omelette dans ta gueule, tu attacheras la poêle à ta queue et nous ferons cuire dans la poêle les poules que j’attraperai.
Compère loup fait ce que lui avait dit le renard. En descendant les escaliers, la poêle faisait beaucoup de bruit, le valet de ferme, qui labourait, poursuit le loup et, à coups d’aiguillon, il le fait laisser l’omelette et la poêle.
Le loup va au renard et lui dit :
— Tu m’as fait battre, il faut que je te mange.
— Non pas ! dit le renard, j’ai pris trois poules : nous allons les manger.
Et quand ils eurent plumé les poules, maître renard dit :
— Va chercher une cognée pour couper une souche d’arbre, et nous les ferons cuire.
Et coupant le bois, comme il n’avait pas de coin pour tenir une fente ouverte, le renard dit au loup :
— Mets là ta patte, cela fera un coin.
Le loup le fait, le renard retire la cognée et voilà notre imbécile de loup pris au traquenard. Son roué compère se met à courir et à rire aux éclats en l’entendant hurler.
Enfin, le loup se débarrasse comme il peut, en laissant un bon morceau de sa patte dans la fente. Il court de nouveau vers le renard et lui crie :
— Cette fois, tu y passeras !
— Tais-toi, nigaud, car brebis qui bêle perd sa bouchée! Je vois, là-bas, un joli coup à faire : viens vite et fais comme tu verras faire.
À ce moment passait un homme qui revenait de pêcher dans la rivière voisine ; son âne portait deux mannes pleines de poissons. Le renard se couche sur le chemin et fait le mort ; l’ânier le voit et dit :
— Tiens ! un renard mort, il faut l’emporter, je vendrai sa peau.
Et il met le renard sur son âne ; notre mort se met à table avec les poissons de la corbeille, et puis, se sauve en emportant une bonne brassée.
À son tour, le loup se couche dans le chemin et fait le mort, mais l’ânier lui tombe dessus et lui donne une telle volée de coups de bâton, le malheureux, que son échine lui fait mal encore.
Voilà de nouveau le loup sur le renard :
— Ah ! monstre ! Il n’y a plus de pardon, je te mange !
— Pas plus ! dit le renard, pourquoi allions-nous prendre les poissons de l’ânier ? Est-ce qu’il en manque dans la rivière ?… Nous allons en pécher ensemble ; nous trouverons bien une corbeille quelque part ; je l’attacherai à ton échine ; moi, je pêcherai les poissons et les mettrai dans la corbeille.
Ils firent ainsi, mais le renard, au lieu de jeter les poissons dans la corbeille, les mangeait et mettait un caillou à la place.
— Nous faisons bonne pèche, n’est-il pas vrai ? disait-il au loup.
— Sûrement, répondait celui-ci, car plus ça va, plus ça pèse.
Il vint un moment où il y eut tant de cailloux que le pauvre encorbeillé ne peut plus remuer et se noya.
Louis LAMBERT (1899)
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