Les garous ne sont pas toujours changés en loups par le diable. On les voit quelquefois sous la forme de chats ou de levrettes.
Un soir d’hiver, au village des Riais, dans la commune de Bain, de nombreux paysans étaient réunis dans une étable où chacun d’eux racontait une histoire de sorciers, de loups-garous ou de revenants.
Quand ce fut le tour du père Pichard, le bonhomme secoua la cendre de sa pipe éteinte en la frappant sur l’ongle de son pouce et demanda :
– Quelle histoire voulez-vous ?
– Le conte de votre chatte, s’écria-t-on de tous côtés.
– Ce n’est point un conte, mes enfants, mais une histoire vraie qui m’a causé bien des tourments. Enfin, puisque vous y tenez, je vais vous la dire sans cachemiteries et sans détours.
Au temps où j’allais faire la cour à ma pauvre défunte femme, à la Haute Chapelle, proche de l’étang de Bain, je revenais ici, nuitamment par le chemin de la Croix des Haies.
Un soir que j’étais resté plus longtemps que de coutume – j’avais le cœur joyeux alors –, je chantonnais en rentrant au logis. Tout à coup, en débouchant d’un chemin creux dans le carrefour de la Croix des Haies, j’aperçus, au pied même de la croix, une grosse chatte blanche qui miaulait tendrement, et qui vint à moi frotter son échine contre mes jambes. Elle me suivit jusqu’aux premières maisons du village, puis elle sauta dans un fossé, et je ne la revis plus.
Les jours suivants, et pendant longtemps, je rencontrai cette bête sur mon chemin. Je m’habituai à son manège et n’y fis plus attention.
Bref, je me mariai, et n’eus plus l’occasion de repasser la nuit par la Croix des Haies. J’oubliai la chatte.
Une nuit, après cinq à six mois de mariage, je me réveillai vers minuit et fus tout étonné de ne plus trouver ma femme à côté de moi. J’appelai : « Nanon ! Nanon ! » Point de réponse. J’allumai la chandelle, il n’y avait personne dans la maison ; je trouvai ça bien étrange.
Je me rendormis, et le matin, lorsque je me réveillai, ma femme était à mes côtés.
– Où donc es-tu allée cette nuit ? lui demandais-je.
– Moi ? dit-elle en rougissant ; mais elle ne répondit pas.
Je n’insistai pas davantage. La nuit suivante, je fis le guet. À minuit, plus de femme ; mais dans la chambre une grosse chatte blanche faisant force ronron tout autour du lit.
Un matin que ma femme faisait le ménage, une araignée lui tomba dans le cou. Elle se sauva dans un cabinet pour se déshabiller.
La curiosité me fit regarder par le trou de la serrure et je vis une chose bien surprenante : ma femme avait à la naissance du cou, près de l’épaule gauche, une marque rouge ayant vaguement la forme d’une patte de chat.
J’avais entendu dire que les personnes qui couraient le garou portaient une marque sur le corps. Or, l’absence de Nanon, la nuit, cette patte de chat sur le dos, ne me laissaient plus aucun doute : ma femme courait le garou !
Je n’en mangeai pas de la journée, et je restai plusieurs jours à errer dans les champs comme un fou. Je m’enhardis cependant à lui demander ce que c’était que cette marque qu’elle avait dans le dos. Elle ne répondit rien et s’en alla : ses yeux verts et brillants semblaient furieux.
La chatte de la Croix des Haies qui venait dans notre chambre la nuit était trop grosse pour passer par le trou au chat, et j’avais bien soin, chaque soir, avant de me coucher, de fermer la porte au verrou ; alors, comment s’y prenait-elle pour pénétrer dans notre demeure ?
Une nuit, étant encore seul dans mon lit, j’allumai la chandelle et j’attendis la visite de l’animal.
Vers une heure du matin, j’entendis gratter à la porte et bientôt je vis la patte passer par le trou, atteindre le verrou et ouvrir la porte ; j’éteignis promptement la lumière.
Le lendemain, j’aiguisai une hache et j’attendis la nuit. Même manège que la veille ; mais j’étais là, près du trou, la hache au poing, et aussitôt que la patte se fit voir, je frappai de toutes mes forces.
J’entendis un cri horrible, un cri de douleur qui me fait encore frémir, bien qu’il y ait plus de quarante ans de cela.
Nanon fut trois jours sans rentrer au logis, et quand elle y revint, elle avait une main coupée.
La pauvre femme ne sortit plus la nuit, et je n’ai jamais revu la chatte de la Croix des Haies.
Adolphe ORAIN (1901)
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