Les trois délégués quittent Viviers et se dirigent vers Nieigles avec leur précieux dépôt. Arrivés à Donzère, ils eurent la curiosité de défaire le paquet. – Cette curiosité leur était bien permise. – Ils mirent à nu, nous le donnons en mille… une gourde hermétiquement bouchée !
Cette gourde semblait ne rien contenir, tellement elle était légère. Nos trois délégués l’examinent, la retournent, la contemplent et se demandent comment peut-être le bon Dieu que la gourde contient. Enfin, se rappelant très bien leur catéchisme, ils se disent : « Mais que nous sommes bêtes ! Dieu est un esprit, on ne peut le voir ni le toucher. » Et ils continuent leur route, non sans retourner la gourde dans tous les sens. Un trait de lumière traverse l’esprit d’un des délégués, qui a l’idée de la frapper tant soit peu avec les doigts. Ô surprise : le bon Dieu répond du sein de son tabernacle : Voun ? Voun ? Voun ? Pour le coup, nos trois délégués s’arrêtent stupéfaits : ils se regardent, n’osant pas même respirer ; un silence de mort préside à cette scène ; le bon Dieu lui-même s’est tu… Pourtant ils se remettent en marche, tout tremblants de frayeur ; leurs jambes flageolent.
Peu à peu le courage leur revient, ils s’arrêtent pour contempler encore leur mystérieuse gourde. Celui qui la portait, – ils la portaient à tour de rôle, – la frappe un peu avec ses doigts, et le bon Dieu dit encore : Voun ? Voun ? Voun ? [où ? où ? où?] Cette fois, nos délégués avaient compris, et tous les trois, en chœur, répondirent au bon Dieu qui leur demandait voun [où] on le portait : O Nieïglé, bouon Dièou. [À Nieigles, bon Dieu.]
Ils étaient radieux de se trouver ainsi eu communication directe avec le bon Dieu ; et ils cheminaient toujours. Arrivés à la Levade, leur curiosité augmente ; ils savaient bien qu’ils portaient un bon Dieu qui parlait, mais comment était-il ce bon Dieu ? Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir, c’était de déboucher la gourde avec beaucoup de précaution et de regarder dedans très discrètement. Les scellés sont brisés à l’instant, à peine le bouchon est-il enlevé que le bon Dieu s’échappe de la gourde, sous la forme d’un frelon en disant toujours : Voun ? Voun ? Voun ? et nos trois délégués, tout penauds, de répondre en courant après lui : O Nieïglé, bouon Dièou.
Après une course échevelée de plus de deux heures, ils arrivèrent à Nieigles tout trempés de sueur, mais sans le bon Dieu qu’on les avait chargés d’apporter de Viviers. – Ils l’avaient perdu en route, les malheureux. Il ne resta, comme souvenir de cette mission mémorable, que la fameuse gourde. Elle est restée longtemps suspendue à la voûte de l’église.
Depuis, on dit : Féblés de Nieïglé, probablement parce que les fameux délégués de cette commune – ainsi que leurs mandants – avaient fait preuve d’une grande faiblesse d’intelligence.
VASCHALDE (1885)
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